On fait de la place au vélo en réduisant celle de la voiture : résultat satisfaisant après quatre ans de contentieux sur le carrefour Pasteur-Montaigne.
Il a fallu quatre ans d’insistance de la part de Place au vélo pour obtenir gain de cause, avec procédure judiciaire à la clé, mais l’enjeu en valait la peine. Angers Loire Métropole, qui construit le tramway au titre de sa compétence transports et déplacements, a finalement renoncé à créer une importante discontinuité cyclable le long de la ligne B du tram, en bas de l’avenue Montaigne au carrefour avec l’avenue Pasteur.
Les travaux de reprise des réseaux ont commencé sur ce carrefour cet été 2020, et la pose de la plateforme du tram devrait se faire au printemps 2021. Cette plateforme ne suivra pas le tracé dessiné initialement par la Mission tramway (organe exécutif d’ALM) : répondant à notre demande, les rails seront légèrement déviés vers le nord afin de dégager l’espace nécessaire à une bande cyclable de chaque côté. Un espace pour les vélos qu’il a bien fallu prendre ailleurs : c’est une voie de tourne à gauche qui disparaît du plan initial, dans le bas de l’avenue Montaigne.
1OOm de discontinuité cyclable programmée
Le symbole est très parlant : faire de la place au vélo en réduisant celle de la voiture. Pour le vélo c’est deux fois 1,50m de large, au lieu des 3m qui auraient servi aux voitures venant de la rocade Est à pénétrer plus facilement en centre ville.
Ce calcul, nous l’avions fait dès le départ, quand au printemps 2016 le Mission tramway nous avait montré des plans où la continuité cyclable disparaissait dans la traversée de ce carrefour soit une centaine de mètres. La seule solution proposée étant le marquage au sol, alors que sur cet axe passaient entre 16.000 et 20.000 véhicules par jour !
Pendant les trois ans de discussions serrées que nous avons eues pour tenter d’aboutir à un compromis correct, nous avons proposé bien d’autres solutions, qui toutes ont été écartées. A chaque fois pour des raisons techniques, mais sans que nous ayons accès aux études correspondantes.
Septembre 2019 : le recours au tribunal administratif
De toutes nos propositions, c’est la suppression du tourne à gauche qui nous semblait la plus acceptable, y compris par les automobilistes qui conservaient la possibilité de tourner à gauche, mais sans voie d’attente dédiée.
Devant les refus répétés d’ALM, et voyant les travaux arriver, nous avons donc décidé de porter l’affaire en justice, nous appuyant sur l’article de la Loi sur l’air de décembre 1996, retranscrite dans l’article L228-2 du Code de l’environnement, qui oblige l’aménageur à faire des itinéraires cyclables à l’occasion de travaux sur la voie publique.
Nous avons déposé notre recours contre le président d’Angers Loire Métropole au tribunal administratif de Nantes le 16 septembre 2019, après avoir préalablement tenté le recours gracieux, resté sans réponse dans les délais prévus par la loi. Des réponses, on en a eu d’autres, du président d’ALM lui-même, de son vice-président aux transports, ou de la directrice de la Mission tramway, et nous avons eu bien besoin de la compétence d’un avocat pour échapper aux pièges de procédure qui auraient facilement pu en résulter.
Il fallait agir avant les travaux
Sur le fond nous étions sûrs de notre droit vu le flux énorme de voitures dans lequel on voulait nous imposer de rouler, choix impensable même avec les promesses d’aménagements à la marge comme traitement en plateau ou limitation à 30 km/h. Mais nous avions une incertitude du fait de l’absence de jurisprudence dans le cas de la construction d’une ligne de tram. D’habitude les recours sur la base de la loi sur l’air sont formés après constatation que les travaux réalisés sont non conformes. Et là il était hors de question d’attendre que les rails soient en place pour réagir : une fois qu’elle est posée, une voie ferrée ne se déplace pas comme une bordure de trottoir. Il fallait donc engager la démarche sur plans, en amont des travaux.
Une étude technique pour soutenir notre choix
La bataille d’arguments a duré un an, par avocats interposés. Nous y avons intégré tous les éléments renforçant notre demande d’application de la loi : les différentes propositions que nous avions faites pour aménager le carrefour avec bandes cyclables, le CEREMA (organe du ministère de l’Ecologie) qui vu le niveau des flux constaté, recommandait des pistes séparées, l’impossibilité d’un itinéraire vélo parallèle vu le plan du quartier, la pente qui ralentit le vélo (avec les voitures derrière) dans la montée vers l’avenue Montaigne, l’incohérence avec le Plan vélo d’Angers qui définit cet axe comme majeur dans le schéma d’agglomération. Sans oublier les contradictions avec le PLUi d’Angers, qui déclare vouloir limiter la pénétration de la voiture en centre ville et favoriser le développement du vélo.
Dans les derniers mois, sur conseil de notre avocat, nous avons rajouté une étude technique, avec l’aide précieuse de trois ingénieurs ayant l’expérience des tracés de circulation, étude montrant que la soi-disant impossibilité technique de supprimer la voie de tourne à gauche n’était pas fondée. On le savait bien : l’argument technique sert souvent d’habillage à un choix politique.
Fin septembre 2020 : la bonne nouvelle
Et pendant ce temps-là, la loi avait évolué. Le 24 décembre 2019 était adoptée la LOM, ou Loi d’orientations sur les mobilités, apportant une modification de l’article de la loi sur l’air nous intéressant. Le nouveau texte était applicable pour nous même s’il arrivait après la date de notre recours. Et la loi était devenue nettement favorable puisque désormais le simple marquage au sol n’est plus considéré comme un aménagement cyclable : il faut obligatoirement une bande ou une piste cyclable (lire par ailleurs). Pendant ce temps là aussi, les élections municipales ont eu lieu avec un affichage vers la transition écologique et de nouveaux élus que nous avons relancés sur le dossier tramway en juillet.
Fin septembre le choix politique a alors pris un virage à 180° : le premier adjoint au maire, la vice-présidente d’ALM aux transports et la directrice de la Mission tramway nous annonçaient, plan à l’appui, que la voie de tourne à gauche serait supprimée, libérant ainsi la largeur pour faire deux bandes cyclables.
Nous avons officiellement fait part de notre désistement début novembre au tribunal, et l’avocat d’ALM a suivi de même. Avant qu’une date d’audience soit fixée, nous avons donc obtenu entière satisfaction. En avocat et frais divers nous aurons dépensé près de 4000€. Mais la pression a payé, le résultat est là.
Seul regret : ne pas avoir créé de jurisprudence tramway avec le L228-2.
Jean-Michel
Ce que dit la loi :
Code de l’environnement, extrait de l’article L228-2, modifié par la Loi sur les mobilités du 24 décembre 2019 :
« A l’occasion des réalisations ou des rénovations des voies urbaines, à l’exception des autoroutes et voies rapides, doivent être mis au point des itinéraires cyclables pourvus d’aménagements prenant la forme de pistes, de bandes cyclables, de voies vertes, de zones de rencontre ou, pour les chaussées à sens unique à une seule file, de marquages au sol, en fonction des besoins et contraintes de la circulation. »